Montréal, juin 2005. J’ai 25 ans. Je vis avec le même copain, Nicolas, depuis 5 ans. Nous habitons un très grand appartement sur le plateau Mont-Royal. J’occupe un poste d’agente de développement pour un regroupement d’organismes en employabilité. Mon copain fait un doctorat en santé publique. Nicolas se fait proposer un poste de conseiller à l’intervention nationale pour l’Office des personnes handicapées du Québec. Le poste est à Drummondville qui est à environ 1h30 de route de Montréal. Il veut accepter le poste et m’offre de déménager en banlieue. Il me dit qu’il s’achètera une voiture pour se rendre à son travail, tandis que moi j’irai travailler au Centre Ville de Montréal en bus, totalisant un bon 4h de transport par jour. Devant mon refus de cette situation ma foi inéquitable, il me dit:  »si je te fais un enfant, est-ce que tu me suis et tu fermes ta gueule? » Cette question me fait sursauter de frustration et j’affirme haut et fort que mon utérus n’est pas à vendre. À la suite de ces événements, notre relation bat de l’aile, nous ne sommes plus sur la même longueur d’ondes. Nous convenons de faire un voyage. Nous savons que soit ce voyage nous rapprochera ou mettra fin à notre relation. Nicolas mentionne qu’il voudrait être complètement dépaysé. Je propose deux options. La première option est que nous allons au Maroc, car j’ai un oncle marocain qui possède des maisons à Tanger et à Agadir. La seconde option que je propose est celle qui changera ma vie pour toujours. Je soumet l’idée du Sénégal. J’ai passé mes deux années de Cegep (17 à 19 ans) à fréquenter un sénégalais qui m’a tellement parlé du pays et de la culture, m’a fait tomber en amour avec le Lac Rose et m’a enseigné mes premiers mots de wolof. Je veux y aller!!! Nicolas choisit le Sénégal aussi. 

Le lendemain, on achète les billets. Nous partirons au mois d’août pour 3 semaines à Dakar. Afin de bien se préparer, nous contactons le Regroupement Général des Sénégalais du Canada. Nous participons à des soirées sénégalaises dans le tout Montréal. Lors d’une de ces activités, une gentille québécoise qui revient de 2 mois au Sénégal, nous fait un exposé enflammé sur son voyage et sur la famille chez qui elle demeurait. Comme nous souhaitons vivre dans une famille plutôt qu’à l’hôtel, nous prenons rapidement contact avec la dame. Elle nous donne la référence de Keur Aissetta Mbengue à Parcelles Assainies, plus précisément à Cité Soprim. Celle-ci accepte de nous recevoir. Et c’est exactement dans ce lieu que ma vie prendra un tout autre tournant.

Nous prenons l’avion avec Royal Air Maroc. Nous faisons escale à Casablanca où on nous assigne une chambre d’hôtel. Nous marchons sur la promenade qui longe l’océan à Casablanca. Je suis émerveillée par le McDonald’s dont l’enseigne est en arabe. J’ai jamais vu l’Afrique, jamais vu le Magreb et la découverte me rempli de joie. Après un petit dodo, nous retournons à l’aéroport. Nous prenons le vol vers Dakar. Nous devons atterrir au Sénégal à 1h du matin, la famille Mbengue vient nous chercher. On survole Dakar, je vois des petites lumières. C’est l’hivernage alors nous sommes en plein orage. L’avion essaie de descendre mais nous ne sommes pas en mesure de passer le niveau des nuages. On voit des éclairs par les hublots. Il y a énormément de turbulences et nous tombons dans des poches d’air sans arrêt. Ce manège a duré 3 heures. On a atterri à 4h du matin. J’ai cru qu’on allait tous y passer. Je suis finalement sortie de l’avion j’étais verte de nausée. La première chose qui m’a marqué en sortant de l’avion, c’est l’odeur du Sénégal. Très caractéristique, elle se compose d’un mélange de thiouraye (encens) et d’humidité. Odeur qui, au fil du temps, deviendra chère à mon coeur de toubab.

Nous entrons dans l’aéroport. Les gendarmes grands et costauds surveillent l’ensemble de la pièce où se trouve le carrousel à bagages. Je suis un peu estomaquée de l’état du dit convoyeur: il manque des morceaux, il y a un anti-dérapant sur trois, il fait un bruit d’enfer et il bloque aux 2 minutes. Nos valises arrivent enfin. Nous passons les douanes et les scanners avec facilité. À la sortie, il y a une petite pièce grillagée où s’entasse tellement de personnes qui attendent les voyageurs. L’image de la grille avec tous ces gens derrière m’a marquée, je la vois encore très clairement dans ma mémoire. Nous voyons la pancarte tenue par Aissetta et son fils Assane qui nous attendent depuis des heures. Nous les retrouvons à l’extérieur. OMG!!! Les sénégalais se ruent sur nous: soit ils veulent nous vendre des trucs ou ils veulent nous faire de la conversion de devises avec un taux de change des plus douteux. C’est Aissetta qui nous prends par le bras et nous amène vers le stationnement où leur voiture est garée. Nous arrivons devant un petite voiture marron complètement cabossée. Une fois à l’intérieur, je me tourne pour prendre la ceinture de sécurité mais amoul!! Il y a aucune ceinture, c’est mon premier choc culturel. Je rigole à l’arrière de la voiture et me dit bienvenue en Afrique!! Sur le chemin jusqu’à Soprim, j’essaie de regarder dehors pendant la nuit. Je vois pas grand chose mais je distingue une route semi-pavée semi en sable, des charettes garées, des piles de matelas au bord de la rue et toutes sortes de traîneries diverses. Wow, je réalise que je suis tellement loin de chez moi et de tout ce que je connais. Il me tarde de découvrir le tout en plein soleil. Nous arrivons à la maison d’Aissetta. Elle nous installe dans la case sur la terrasse. L’aménagement de la case est un salon marocain. Ce sont les canapés qui nous servirons de lit. Nous avons également une salle de bain sur la terrasse avec douche et toilette chaise anglaise mais sans planche pour s’asseoir. Mais ça le fait très bien. On installe le moustiquaire de peine et de misère. On se couche… Je commence à m’endormir quand soudain, 2e choc culturel, une grosse voix se met à résonner: Allah… Je me dis: voyons ça fait donc ben peur ça!! Et je réalise qu’il s’agit simplement de l’appel à la prière de 5h du matin. Je finis par m’endormir, ayant hâte à mes découvertes du lendemain.

À suivre…

DIARRA TOUBAB

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