Avant de partir au Sénégal, j’ai fait une crise de boutons. J’avais plein de gros boutons rouges partout dans le dos et sur les fesses. J’ai rencontré le soi-disant meilleur dermatologue de Montréal. Il m’a d’abord prescrit un traitement antifongique pour traiter un diagnostic de folliculite. En rentrant chez moi, j’avais comme le feeling intérieur que le traitement n’allait pas fonctionner. Effectivement, 8 jours plus tard, il n’y avait aucun changement de la condition. Je suis donc retournée le voir une 2e fois. Il m’a prescrit de l’Acutane, un médicament extra fort contre l’acnée. J’ai commencé la médication et je n’ai constaté aucun changement. Je suis partie pour Dakar le corps plein de boutons. C’est à mon arrivée au Sénégal que j’ai commencé à aller voir des marabouts.

Au Sénégal on retrouve deux sortes de marabouts: les religieux et les mystiques. Dans la tradition musulmane du Sénégal, les marabouts ont un pouvoir très important dans la société quotidienne. Les marabouts religieux sont non seulement une représentation de l’ordre archaïque mais aussi de la foi du peuple. Ils sont les guides spirituels de la religion musulmane aussi bien que des maîtres du Coran, le texte sacré. Ce sont des guides érudits à lesquels on peut se référer. De leur côté, les marabouts mystiques pratiquent les sciences occultes. Il s’agit plus de magiciens ou sorciers qui revendiquent des pouvoirs de clairvoyance et de guérison. Dans le cadre de leurs rituels, les marabouts pratiquent les sacrifices d’animaux, fabriquent des bijoux ensorcelés, des gris-gris, font des poudres et des médicaments avec toute sorte de plantes et arbres. Ils te donne des recettes avec des versets du Coran pour te laver le corps pour te protéger contre les mauvaises langues, les djinés et les rapts, de la maladie et même des coups de couteaux! Il y en a vraiment pour tous les goûts, selon les besoins et demandes du client. Il y en a pour tous les prix aussi en fonction de l’achalandage. Des fois, tu peux attendre ton tour la journée entière. Ce sont ces marabouts mystiques que je suis allée voir à maintes reprises au cours de ma vie sénégalaise. Voici quelques unes de ces expériences.

Fatick

Fatick est non seulement une région du Sénégal mais également une ville. La ville se situe entre Mbour et Kaolack, soit à 146 kilomètres de Dakar. Il paraît qu’à Fatick il y a un marabout qui fait du pendule et il peut dire quelle personne aller voir qui pourra te soigner. Il n’en faut pas plus pour que mes boutons, mon mari et moi partions à Fatick pour retrouver ce monsieur pendule. Une fois à la gare routière, on nous indique le chemin vers le lieu où se trouve le marabout. Il n’y a pas grand monde quand nous arrivons. Il nous consulte presque tout de suite. En ce qui concerne mes boutons, il m’indique d’aller à l’hôpital des médecines traditionnelles de Malango. Il ajoute que je dois demander à voir Bocar Diop, c’est lui qui pourra me soigner. De son côté mon mari parle de son paludisme chronique qui lui fait faire des crises aux 2-3 mois. Avec le pendule, il détecte que mon mari est affligé de la présence en lui d’un vent de Satan. Monsieur Pendule indique qu’il peut le soigner. Il s’ensuit d’une série de fumigation. Il y a 7 pots avec divers encens et poudres qui brûlent. Il se dégage beaucoup de fumée et celle-ci est noire et épaisse. Monsieur Pendule demande à mon mari de prendre une couverture, de se mettre la tête au-dessus des feux, de mettre la couverture sur sa tête et de respirer là dedans environ 2 minutes pour chacun des 7 pots. C’est avec une grande difficulté qu’il a réussi à terminer les 7 pots. Mais je vous jure, depuis ce jour il n’a jamais refait de crise de paludisme. 

Hôpital des médecines traditionnelles de Malango

Malango est également dans la région de Fatick. Depuis 1989, des guérisseurs, grâce aux secrets hérités de leurs ancêtres, y soignent des corps et des esprits malades. Les tradipraticiens sont présents au quotidien pour satisfaire les patients venus de toutes les régions du Sénégal. Le centre regroupe 450 guérisseurs. Nous avons donc dû nous déplacer une autre journée pour aller voir celui qui était prédestiné à être mon guérisseur. Arrivés à l’hôpital, le taximan nous laisse devant le petit bâtiment de l’accueil. Une dame nous parle par la fenêtre. Elle mentionne que Bocar Diop est présent aujourd’hui et que le ticket pour le voir est de 500 FCFA. Mon guérisseur est actuellement occupé avec un autre patient. Nous nous assoyons où nous pouvons et il viendra nous chercher quand ce sera notre tour. Dans 10 minutes ou dans 4 heures ça personne ne le sait. Le centre est constitué d’un grand terrain sur lequel on retrouve plusieurs cases. Chaque tradipraticien s’installe dans une case et reçoit ses patients. 

Notre tour arrive. Nous entrons dans la case de Monsieur Bocar. Il fait noir!! La seule lumière vient du petit trou sur le toit de la case. Partout il y a des objets divers: des plumes, des miroirs, des coquillages, des poudres, des morceaux de bois et j’en passe. Sur le côté, il y a un petit lit et Monsieur Bocar nous demande de nous asseoir dessus. Il ne parle pas très bien le français, donc c’est mon mari qui s’occupe de la traduction. Il explique que depuis des mois, j’ai de gros boutons rouges qui m’affligent le dos et les fesses. Le guérisseur me demande de me coucher sur le ventre en levant mon chandail et baissant mon pantalon. Il regarde avec une loupe, il touche, pince et examine. Il pose un diagnostic, ce sont des sothiets. Il m’indique qu’il n’aura pas de problème à faire disparaître le tout. Il sort 2 poudres, une verte et une brune. La poudre brune est à mélanger avec une boisson et il faut la boire d’un coup. Cela doit se faire tôt le matin pendant 3 jours. La poudre verte doit être mélangée à du Mentholatum. On retrouve ce dernier dans la plupart des boutiques du Sénégal. Le Mentholatum est une graisse médicamenteuse qui sent le menthol. On l’utilise de la même façon qu’on utilise le Vicks ou le Tiger balm. Dans mon cas, je dois faire une pâte avec le Mentholatum et la poudre. Par la suite, mon mari doit me graisser le dos et les fesses tous les soirs jusqu’à la fin de la poudre. Je dois dormir avec le traitement sur la peau. Et, pour couronner le traitement, Monsieur Bocar, me donne une pile de branches de bois. Il me dit que je dois mettre les bois dans une bouteille et boire ce liquide toute la journée. Il m’indique de changer les bois aux 4-5 jours et de remplir la bouteille lorsqu’elle est vide. J’ai bu de ces bois pendant des mois. Les 2 premiers jours, la boisson est dégueulasse. Ça goûte fort, les bois sécrètent et cela forme une mousse qui est loin d’être un délice. Plus les jours avancent, moins c’est goûteux. Mais le temps de mettre de nouveaux bois revient très vite! 

Après la consultation médicale, nous plongeons dans le volet sorcellerie de la consultation. Mon mari demande à Monsieur Diop de nous lier à jamais. Le guérisseur démarre un petit feu. Il met au sol des miroirs cassés et nous demande de nous regarder dedans. En nous penchant la tête, la chaleur et la fumée du feu nous arrive en plein visage. Monsieur Bocar sort un assortiment de plumes, de perles, de coris. L’ensemble de  »la chose » scintille dans le rayon de soleil. Il se met à nous taper fortement la tête avec les plumes en récitant une incantation dans une langue complètement inconnue. Mon mari et moi tournons nos têtes face à face sous les plumes et sincèrement on rigole. Le rituel se terminant, on se relève la tête. Je fais un petit cri de surprise en jetant un oeil au plafond. Des dizaines de coquillages flottent carrément dans les airs. Je me frotte les yeux, mais c’est bel et bien la réalité. Monsieur Bocar me regarde en souriant et dit: c’est impressionnant n’est-ce pas? Je suis stupéfaite, j’en ai plein les yeux de voir ça. Il nous montre un gros coquillage roulé sur lui même. Il indique: si le coquillage s’arrête devant vous, c’est que vous serez unis pour la vie. Il lance le coquillage en l’air. Je ne vous ment pas, à sa descente le coquillage s’est arrêté devant nous, à la hauteur de nos visages. Comme suspendu dans les airs et dans le temps. Nous sommes subjugués. C’est sur cette note mystique que se termine la consultation. Nous rentrons à Thiès, convaincus d’être inébranlables et attachés ensemble pour la vie, ce qui finalement arrivera grâce à nos 2 beaux enfants. Enfin, pour ce qui est des sothiets, ceux-ci ne me quitterons pas malgré les traitements prescrits par le guérisseur. Ces boutons disparaîtrons d’eux-mêmes à mon retour au Canada. .

L’avenir est dans le sable

Mon mari et moi avons entendu parler d’un homme qui lit l’avenir dans le sable. Ni une ni deux, on part là bas très tôt le matin. Une belle balade en 7 places et on arrive dans ce village dont j’ai oublié le nom. Il n’y a vraiment pas grand chose autour de nous. Des maisons qui forment un carré et une cour centrale avec un manguier au milieu. On arrive à la maison de l’homme lecteur de sable. En entrant, une jeune fille de 13 ou 14 ans nous donne un ticket en papier sur lequel il est inscrit à la main 14. La maison est remplie de gens qui tiennent un bout dc papier. Nous comprenons que nous sommes les 14e de la journée. Nous n’avons rien, pas d’eau pas de bouffe. Nous essayons de nous trouver une place dans la maison. Les chambres sont pleines, le salon est plein également. La jeune fille vient me voir et nous amène vers une pièce au fond du couloir. Elle ouvre la porte. Il n’y a personne et il y a un lit. Je suis soulagée de savoir que au moins on va être bien installés pour attendre. Il y a tellement de monde, notre chambre se rempli. Il passe des heures et des heures. Le soleil tape dans la fenêtre de la chambre, il fait chaud. Nous sommes maintenant 7 sur le lit, 5 sur le canapé et 4 par terre. Arrivé vers midi, je suis en train de me dessécher de soif et la faim commence à nous tenailler. Par une chance incroyable, une gentille dame m’offre le reste de sa bouteille d’eau. Je crois que je n’ai jamais été aussi reconnaissante de ma vie. Il est désormais 15h et on entend une grosse cloche sonner. Tout le monde se lève et sort dehors. Il y a 4 femmes avec des immenses bols. Les gens se divisent autour des 4 bols. Khadim et moi, on se greffe à un cercle. Tout le monde me regarde et ont l’air de se demander qu’est-ce que je peux bien faire là. Je mange dans le même bol que tous ces inconnus, personne ne dit rien. Après avoir lavé nos mains et bu un grosse tasse d’eau du robinet que je ne bois jamais d’habitude, on retourne dans la chambre. Je constate que tout le monde a repris la même place qu’ils occupaient avant le repas. Bien repue, je m’endors.

À mon réveil, je suis un peu mélangée. Les gens s’activent et ils sont en train de se plaindre. Le vieux est fatigué. Il termine ses consultations pour la journée. Les gens qui sont venus de loin sont déçus. Moi aussi je suis déçue. J’ai passé ma journée dans une chaleur accablante avec 15 personnes inconnues. J’ai eu soif, j’ai eu faim pour finalement ne pas être vue. Non, c’est pas vrai. Khadim se lève et se dirige vers la jeune fille qui nous a accueilli à notre arrivée. Ils discutent ensemble plusieurs minutes. Khadim revient et m’indique que la jeune fille va aller voir son père pour lui demander de nous prendre comme dernier client. Le vieux accepte. Nous entrons dans sa chambre. Il fait tellement sombre. Le vieux est couché sur le plancher et il s’est installé sur une pile de doudous. Devant son visage se trouve un plateau en argent avec deux poignées. Dans le plateau, il y a le sable qui va me dire mon avenir. Le vieux met ses mains sur le sable et les glisse pour en faire une surface lisse. Après les salutations officielles, la lecture débute. Le vieux plonge ses doigts dans le sable et fait des zig-zag avec ses doigts. D’abord de façon horizontale et ensuite dans tous les sens.  Je le regarde faire en me questionnant: mais que peut-il bien voir, c’est tellement abstrait. Il commence sa lecture. Je ne peux pas me souvenir de tout mais je vais faire de mon mieux pour décrire les points marquants. Il a d’abord débuté en me lisant que j’allais avoir une extrêmement longue vie. Plus de cent ans à ce qui paraît. J’étais bien contente d’entendre cela. Khadim et moi allons faire toute notre vie cote-à-cote, nous sommes liés à jamais. Le sable indique que nous allons avoir 2 garçons. Le vieux mentionne que j’ai été maraboutée par un certain Omar. Tout de suite, je pense à mon collier de perles de Gorée. Il ajoute que c’est pour cette raison que je suis toujours malade. Il dit aussi que les boutons sont liés à ce maraboutage. Le vieux me donne une recette pour un bain magique.  Il dit que ce sera complexe comme bain. Il plie une feuille et me la tends. Le vieux m’explique que ce sont des versets du Coran. Il faudra mettre la feuille dans mon bain et frotter un peu pour en détacher les écritures. Par la suite, il nous fait une liste d’épicerie: le sang d’un poulet rouge, le sang d’un poulet blanc, 3 pots de lait Gloria, 10 aiguilles, 10 lames 7, du miel, du sucre et encore quelques autres ingrédients qui échappe à ma mémoire. Suite à la recette, le vieux se met à cogner des clous. Il parle et s’endort au beau milieu de ses phrases. De temps en temps Khadim lui met un petit coup sur l’épaule. Il sursaute et reprend la parole pour se rendormir. Nous tentons tant que bien de le saluer, mais je ne crois même pas qu’il nous ait entendu partir. Nous prenons le 7 places pour rentrer à Thiès.

Le lendemain, nous partons vers le marché pour acheter les ingrédients pour le bain magique. Nous achetons d’abord tout ce qui est inanimé. Par la suite, nous nous rendons aux poulaillers. Nous constatons qu’un poulet blanc c’est facile à trouver, mais le poulet rouge est plus complexe. Nous arrêtons notre choix sur un coq noir avec des reflets rouges. Il est vraiment majestueux. On se convainc qu’il est assez rouge pour faire partie du traitement. On prend un sachet et on met les poulets à l’intérieur. On attache le plus serré possible. Nous sommes en scooter pour rentrer à la maison. Je tiens les poulets qui se débattent tout au long de la route. À la maison, nous les installons dans une chambre vide. On prend un peu de temps pour s’amuser avec eux. Il est maintenant temps de me baigner. Khadim égorge les 2 poulets et vide le sang dans la panne. Il ajoute les pots de Gloria, les aiguilles, les lames 7, le miel et tout ce qui s’en suit. J’ai acheté pour 25 000 FCFA d’épicerie pour ce bain, alors il y en a des ingrédients. Il est maintenant l’heure de me libérer de ce maraboutage. Je me déshabille et j’embarque dans la panne. À l’aide d’un petit pot, je commence à me verser le mixte dessus. Je le verse dans mes cheveux, je frotte sur mon corps pour bien l’étendre. Je dois faire ce lavage à 3 reprises. Et je dois être sèche pour chaque lavage. Alors je reste plantée là, debout dans la panne et nue en attendant de sécher. Je discute avec mon mari qui est là, assis sur un petit banc qu’on utilise aux repas et il me donne ses instructions. Je fais mes 2 derniers bains. Pendant que je sors de la panne, Khadim me dit: là, tu ne peux pas te laver tout de suite, il faut attendre quelques heures. J’ai donc enfilé ma robre africaine la plus moche et j’ai passé l’après-midi à la maison couverte de sang de poulet séché. Les mottes dans mes cheveux oh la la. C’est avec joie que je me suis lavée vers 18h.

Je peux certifier que ce bain magique n’a pas enrayé ce maraboutage. Quand je suis retournée au Sénégal en 2009, j’ai fait une grosse tendinite qui a commencé sur mes orteils et mon pied. Plus les jours avançaient plus la tendinite montait et s’est finalement rendue jusqu’à l’aine. Mais chanceuse dans ma malchance, j’ai rencontré un des physiothérapeutes du club de soccer national: Les Lions de la Teranga. Toutes les nuits vers 23 heures il venait me faire un traitement avec du baume de St-Bernard. C’est grâce à lui que j’ai pu marcher tout au long de mon voyage. Croyez-moi ou non, mais la tendinite a commencé à descendre dans l’avion entre le Maroc et le Canada. Arrivée à Montréal, en 2 jours je n’avais plus aucun symptôme. J’ai vu tellement de marabouts mystiques durant mes passages en Afrique. Je ne peux pas compter les bains que j’ai pris, les bois que j’ai bu, les rituels que j’ai fait, tout cela pour me libérer de ce sort. Rien ne fonctionne. Encore aujourd’hui, j’ai toujours ce sentiment d’appartenir au Sénégal. Tout au long de ces 20 dernières années, il y a toujours eu quelque chose dans ma vie qui me reliait au Sénégal. Il y a quelque chose de plus grand que moi dans mon amour du Sénégal, une force intangible.

À suivre…

DIARRA TOUBAB

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