Lors de ma première visite au Sénégal, j’ai eu la chance de passer une journée complète sur l’Ile de Gorée. Véritable vestige historique du commerce triangulaire, se balader librement en ces murs nous fait vivre une foule d’émotions. De voir les pièces grandes comme ma main et réaliser que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se sont tenus ici entassés les uns sur les autres dans des conditions sanitaires des plus abjectes. Pendant ce temps, les Portugais à l’étage supérieur dormaient sur leurs deux oreilles. Passer la porte du sans retour m’a donné de si gros frissons. Je ne pouvais pas croire que j’étais là, en ce lieu historique qui a vu tellement de souffrances. L’exposé du conservateur Joseph Ndiaye m’a tiré les larmes. Cet homme avait un don de raconter et il avait à coeur le patrimoine historique de Gorée. Décédé aujourd’hui, il fut conservateur en chef de Gorée de 1962 à sa mort en 2009.

L’Ile de Gorée possède également un gros canon. À côté du canon se trouve une panoplie de kiosques d’artistes qui vendent tableaux, vêtements et bijoux. Plusieurs de ces artistes habitent dans le canon. En passant devant les kiosques, un bras attrape le mien. Je me retourne pour faire face à une imposante pièce d’homme avec de longs dread locks. Il m’invite à aller voir ses créations « juste pour le plaisir des yeux » qu’il me dit. Il me montre un collier avec des perles bleues royales et blanches. Il me mentionne que c’est la perle officielle de l’Ile de Gorée. Il n’en faut pas plus pour que j’achète le collier. Je ne me souviens plus du prix mais c’était pas cher, maximum 1000 FCFA. L’artiste me dit tourne toi je vais te l’attacher. Je me retourne, soulève mes cheveux et il m’attache le collier. Nous quittons l’Ile avec la chaloupe. Je porterai ce collier dans mon cou jusqu’à la fin du voyage.

De retour à Montréal, je reprends mon quotidien métro-boulot-dodo. Au tout début, je porte toujours le collier de Gorée. Mais après quelques temps, je veux l’enlever car il ne va pas du tout avec mon habillement. Je me met face au miroir et tourne le fermoir vers la glace. Je pince et j’essaie de dévisser mais ça ne tourne pas. Je passe un bon 10 minutes à essayer de tourner le fermoir sans succès. Je pense à le couper mais je ne veux pas le briser, je l’aime bien. Finalement, je le garde à mon cou.  Au travail, nous partageons nos locaux avec d’autres entreprises donc nous sommes nombreux. J’ai commencé à demander à mes collègues de travail de m’enlever le collier. Aucun d’eux n’a été capable de faire tourner le fermoir. Durant plusieurs semaines, j’ai demandé à mes amis et autres connaissances de tenter de  me l’enlever. Personne n’a réussi. Le fermoir refuse carrément de bouger. Un soir, je suis tranquille à la maison, je m’assois devant le miroir avec une paire de pinces long nose et une paire de ciseaux. Je prends un côté du fermoir avec mes doigts et prend l’autre côté du fermoir avec les pinces. Je serre fort, j’essaie de tourner du plus fort que je peux. Rien à faire, c’est comme si il était soudé. Je me décide à prendre les ciseaux pour l’enlever une bonne fois pour toute. Je me dis c’est dommage de le briser, mais j’ai comme plus aucun autre choix. Je décale les perles. J’ouvre les ciseaux et je passe le fil entre les couteaux. Je prend un respire et je ferme les ciseaux. Le fil n’a pas coupé. J’essaie de couper le fil, qui est un simple fil de pêche, mais le fil plie dans le ciseaux. Je vais chercher un papier pour un test. Les ciseaux coupent très bien le papier. Je me réinstalle et tente de couper le fil à nouveau. Sans succès. Je ne sais pas comment expliquer le comportement du fil, c’est comme si je le voyais se mouler aux ciseaux. Le lendemain, toujours le collier autour du cou, je raconte l’événement à mes collègues de travail. Ils sont incrédules et tentent à nouveau d’ouvrir le collier. Évidemment, cela ne fonctionne pas. Je commence à dire à la rigolade que c’est l’homme de ma vie qui m’enlèvera le collier. Et dans ma tête, j’espère fort que Khadim me l’enlèvera.

J’ai décidé de sous-louer mon appartement et de partir retrouver mon amoureux au Sénégal. Je me suis trouvé un emploi incroyable de Conseillère en concertation des organisations paysannes et agricoles. Je travaille pour le Centre canadien d’études et de coopération internationale. Je suis basée à Thiès dans les locaux de l’association des unions maraîchères des Niayes. Toute une expérience pour une jeune fille de 25 ans. Je quitte le Québec pour une durée indéterminée à la fin mars. Je prends un vol pour New York où mon beau-père me rejoint pour me donner des bagages à apporter. J’arrive à Dakar très tôt le matin. Je suis dans le même avion que Youssou Ndour! Je l’ai vu ronfler en première classe en allant aux toilettes! À ma sortie, le douanier me questionne sur la caisse de mon beau-père et me demande les factures des ordinateurs. Oh la la! Je fais la fille qui comprends pas trop alors il baisse les bras et me dit de partir. Je sors à l’extérieur de l’aéroport, ma belle-famille est là au grand complet. Je demande un café Touba. Khadim se précipite m’en prendre un. Je monte dans un taxi avec Bass, Mimi et Khadim. Ayant fini mon café, ma belle-soeur prend le verre en plastique et le lance par la fenêtre du taxi. Je crie: Pollution!! Tout le monde dans le taxi éclate de rire en me disant de regarder autour de moi. Nous allons à Ngor où nous avons loué une chambre pour le premier mois, avant le déménagement à Thiès. Nous prenons le temps de nous installer un peu. 

Après une bonne douche froide, nous commençons à faire ce qui appartient à l’intimité des maris et leur femme. Khadim me touche le cou. Je m’assois bien droite dans le lit. Je lui dit que j’ai ce collier autour du cou depuis mon voyage antérieur et ajoute que nombreuses personnes ont tentés de me l’enlever sans succès. Je dis que j’ai même tenté de le couper et ça ne marche pas. Je lui explique que c’est l’homme de ma vie qui va m’enlever ce collier. Nous rions. Je lui demande si il veut essayer. Il prend le fermoir et en un claquement de doigts il a le collier entre les mains. Ça y est, je suis complètement mystifiée. Je suis convaincue qu’il est l’homme de ma vie, le père de mes enfants et tout ce qui s’en suit. Les émotions que je ressens sont indescriptibles mais elles sont positives. Je dépose le collier sur la table de chevet. Je m’endors. 

À mon réveil, je me tourne vers mon mari pour être certaine que je ne suis pas en train de rêver. Je le regarde dormir pendant longtemps. Il est tellement beau avec son visage parfait et si bien découpé. Je me serre contre lui et prend le temps de savourer le bonheur que j’ai d’être là, avec celui qui est mon tout. Il ouvre les yeux. Nous profitons de cette matinée en amoureux. Je dois aller me soulager et les toilettes communes sont au bout du couloir. Je me retourne pour sortir du lit et ce que je vois est surprenant. Mon collier est en mille miettes. Le fil est cassé à plusieurs endroits et les perles sont éparpillées partout sur la table de chevet et même au sol. Je ne comprends pas. J’invite Khadim à venir voir. Lui non plus n’en croit pas ses yeux. Nous restons plusieurs minutes à discuter du collier. Il était sûrement marabouté. C’était certainement une façon pour que je revienne au Sénégal par force mystique. Nous ne comprendrons jamais vraiment ce qui est arrivé avec ce collier. Cela dépasse l’entendement. Logiquement inexplicable. Mais plusieurs phénomènes mystérieux se sont passés pendant mon passage au Sénégal. Ai-je été maraboutée?

À suivre…

DIARRA TOUBAB

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