Un week-end de 4 jours se dessine devant nous. Quand nous n’allons pas à Dakar, nous faisons de petits voyages. Cette fois-ci, nous partons à Joal-Fadiouth. Il s’agit en réalité de deux villages. Joal (le plus grand) est sur le littoral. Fadiouth est une île artificielle constituée d’amoncellements de coquillages et reliée à la côte par un pont de bois. C’est l’île qui est la plus visitée. Marcher à Fadiouth c’est entendre le bruit des coquillages qui cognent ensemble et qui s’écrasent sous nos pieds. Nous trouvons un hôtel à Joal. Notre chambre est une petite case avec salle de bain. Sur le balcon devant la chambre, la vue est magnifique. Nous sommes sur le bord de l’eau, le pont de bois juste devant nous et l’île au bout. Nous décidons de prendre un guide. Plusieurs se présente à nous, mais nous choisissons Emmanuel, celui qui nous inspire le plus confiance.

Nous suivons Emmanuel le long de la rive. Il a une pirogue. Il dit qu’il va nous faire faire le tour de l’île. Nous embarquons dans la pirogue. Il fait une chaleur de fou une fois rendu sur l’eau. Emmanuel nous donne plein d’informations intéressantes. Il nous amène autour des greniers à mil. Il s’agit de petites cases sur pilotis. Les céréales de mil sont mis à l’intérieur pour les faire sécher. Une fois sec, les grains sont emballés en paquet pour la vente. Plusieurs mets et desserts sénégalais sont préparés à base de mil. Mais moi je n’en mange pas, je semble être allergique. Si j’en mange, ça me gratte partout dans la bouche, donc j’aime mieux m’abstenir. Par la suite, il nous amène à la pêche au crabe. Nous attrapons des crabes violettistes. Emmanuel nous dit qu’on les appelle comme ça en raison de leur couleur violet. J’apprendrai par hasard des années plus tard qu’il s’agit de crabes violonistes. Ils sont appelés ainsi car ils ont seulement une grosse pince qui fait penser à un violon. Je ne sais pas si j’avais mal compris ou si Emmanuel disait du n’importe quoi. La balade se termine et nous n’avons pas fait le tour de l’île. C’est pas grave, le soleil tape et on a faim. Emmanuel mentionne qu’il va aller chercher sa voiture et venir nous prendre plus tard pour aller au Baobab sacré.

Vers la fin de l’après-midi, Emmanuel arrive avec sa voiture brune. Il est tout fier de nous la montrer. Nous prenons un chemin de terre de la largeur de la voiture. Le chemin est bordé par de grands herbages à perte de vue. Nous faisons face à un grand trou d’eau. Emmanuel sort de la voiture et part dans l’autre direction. Il revient avec un groupe d’enfants. Il éteint la voiture et crie aux enfants de pousser. La voiture descend lentement dans le trou d’eau. L’eau rentre de partout: par les portes, par le plancher et même dans le moteur. On reste coincés au milieu du trou. Les enfants poussent de toutes leurs force et on finit par en sortir. Je suis trempée car l’eau a monté jusqu’au niveau des sièges. J’hallucine, j’ai jamais vu ça de ma vie. On paie les enfants pour leur bon services. Et, à ma grande surprise, la voiture redémarre du premier coup. Nous continuons sur le chemin de terre pendant plusieurs plusieurs kilomètres. Sur ma droite, le Baobab sacré est impressionnant. Il est géant et il y a plein de trucs suspendus dans son feuillage et vraiment c’est très joli. On nous raconte l’histoire de cet arbre de 1050 ans. Il y a une ouverture sur le côté. Un trou juste de la bonne grandeur pour faire passer un humain pas très costaud. Un homme nous dit qu’il agrandit le trou à chaque année car il a tendance à se refermer. Khadim passe en premier et je le suis. Dans ma tête, j’ai un peu la trouille de ne pas être capable de ressortir du Baobab. À l’intérieur c’est comme une grande pièce. Il fait tellement froid!! Avec la température extérieure de 35-40 degrés, on dirait qu’il y a la climatisation à l’intérieur. Le soleil n’entre pas à l’intérieur, sauf 2 rayons. Khadim ressort en premier. Arrivé à mon tour, je ne sais pas trop comment me placer pour sortir. Finalement, je décide d’y aller tête première car ma jambe ne lève pas jusqu’au trou et je suis déjà courte d’avance. Mon mari m’attrape. La voiture d’Emmanuel n’est plus là et lui non plus. Les hommes du Baobab nous confirme qu’il est parti pendant que nous étions dans l’arbre. Donc, nous nous retrouvons seuls au milieu de la forêt, à pied avec des kilomètres à faire dans le fameux chemin de terre.

Un des hommes du Baobab mentionne qu’il va nous accompagner jusqu’à Joal. Nous nous mettons en route sur le chemin de terre. Nous marchons tellement longtemps, aucun véhicule ou charette ne passe. Le soir commence à tomber. Le crépuscule, appelé timis au Sénégal, est considéré comme le moment le plus dangereux de la journée. C’est à cette heure que sortent les djinés et les rapts de toutes sortes. Djiné vient du mot Djinn qui signifie génie (bons ou mauvais), dans le Coran et les légendes musulmanes. Les rapts sont quant à eux des mauvais esprits qui s’emparent de quelqu’un. Bref, il n’est vraiment pas recommandé d’être dehors à cette heure et la majorité de la population reste à la maison pendant timis. Mais nous, nous sommes dans la forêt au milieu de nulle part à la merci de tous les vents de Satan. Nous continuons de marcher. La nuit est maintenant tombée. Il fait tellement noir. Soudain, on entend gronder à travers les feuillages. Mais c’est quoi ce bruit? On dirait un animal… On entend un second grondement. On presse le pas… On se questionne sur ce que cela pouvait bien être: une hyène, un guépard, une panthère! On rigole de stress. Et la lumière fut! Des phares de voiture nous aveugle. On saute, on crie et on se dit Alhamdoulilahi! La voiture s’arrête et le conducteur ouvre la fenêtre. Mauvaise nouvelle, ils sont déjà 5 passagers à l’intérieur de la voiture. Nous sommes désespérés. On propose d’embarquer tous les 3 dans le coffre de la voiture. Le conducteur ne veut pas même si nous lui proposons de l’argent. Devant notre désarroi il nous dit: je vais aller porter ces gens à Joal et je vais revenir vous chercher. Comme nous n’avons pas d’autre choix, nous acceptons le marché. Nous continuons notre route pendant ce que j’ai cru une éternité. J’entends encore des bruits d’animal. Sauf que ce ne sont plus des grognements mais des pas qui viennent vers nous. Notre ami du Baobab mentionne que c’est une charette, mais qu’elle va dans la direction opposée de nous. La charette s’arrête devant nous. Le conducteur de la voiture est revenu nous prendre en charette! Nous montons sur la plateforme et il nous conduit jusqu’à Joal.

Il est tellement tard. Nous rentrons directement à notre case. On se couche complètement lessivés. Le lendemain matin, nous cherchons Emmanuel avec une brique et un fanal. Nous sommes remontés. Pourquoi nous a-t-il abandonné là-bas? C’est ce que nous voulons savoir. On marche la côte de long en large, car c’est dans ce coin qu’il se tient. Aucun Emmanuel en vue. Nous retournons vers le village. Nous croisons le meilleur ami d’Emmanuel. Nous lui demandons s’il sait où celui-ci peut-il bien se trouver. Il nous pointe un arbre. On voit la voiture d’Emmanuel emboutie dans l’arbre. Emmanuel est à l’intérieur complètement ivre. Il a la tête sur le siège passager, les fesses sur le siège conducteur et les pieds qui sortent par la fenêtre de la voiture. Il est dans le coma et il ronfle comme un camion. Impossible d’avoir aucune conversation avec lui. On regrette de l’avoir payé d’avance. Sa soif a pris le dessus et il nous a laissés, voilà tout. Je ne me sens pas très bien ce jour là alors nous décidons de rentrer à Thiès. Le lendemain, j’apprendrai que j’ai une bactérie intestinale et le paludisme.

À suivre…

DIARRA TOUBAB

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