Nicolas et moi avons réussi à nous endormir après la prière de 5h du matin. À 8h, on entend crier »Nicolas! Valérie! ». On se lève de peine et de misère, j’ai l’impression que je suis aussi lourde qu’une tonne de roches. On s’habille et nous allons à la rencontre de Penda, la bonne de la maison. Celle qui fait tout et qui n’arrête pas de la journée: la cuisine, le ménage de cette maison de 4 étages où vivent 11 personnes, le lavage du linge de tous à la main. Penda, tellement vaillante. Son seul repos c’est quand son père vient la visiter un dimanche par mois. Elle nous fait descendre le grand escalier de marbre. Celui-ci donne sur le salon et dans un coin une table pour manger avec au mur, une immense carte de Dakar qu’on dirait faite à la main. Elle nous donne un kilo mburu (une baguette de pain) avec du chocolat et du café. Nous convenons des termes de notre séjour. Elle nous fournit le logement, 3 repas par jour, 2 guides et une voiture. Je ne me rappelle plus de son prix mais c’était un peu abusé quand même et elle facturait en euros! Nous avons donc conclu cet accord.
Aissetta me dit: vous partez à la banque. Ce n’est pas loin, vous y allez à pied. Alors je sors pour la première fois de la maison en plein soleil. La température est extraordinaire. Nous attirons les regards curieux des gens du quartier et nous aussi sommes curieux à leur sujet. Nous prenons la rue de sable pour se rendre au coin où se trouve une grande artère. Tout au long du chemin, les maisons sont hétéroclites, il y a de petites boutiques où l’on trouve de tout et il y a beaucoup de gens dehors. Au coin de la rue se trouve la pharmacie Mame Diarra Bousso. Arrivée au coin, mes yeux subissent un petit choc. Le trottoir est à moitié fait seulement par sections, les charrettes roulent sur la voie publique à travers les voitures. Et il y a tellement de voitures, c’est complètement bouchonné. Nous marchons vers la banque tout en tentant de traverser les angles de rue sans stop ni lumière. Arrivée au guichet, je retire ma part du coût du voyage. Nicolas tente de retirer la sienne. Le guichet n’accepte pas les NIP à 5 chiffres. Je dois donc payer pour tout pendant l’ensemble du voyage. Nous retournons à la maison. Pour le reste de la journée est prévu du repos et la découverte du quartier.
Le quartier est somme toute petit. Il y a un grand terrain de foot. Mais, ce qui deviendra mon repère sera le télécentre dans le garage d’Aissetta. Au télécentre, il y a Malick qui y travaille 7 jours sur 7. Il boit du thé et fume des cigarettes toute la journée. Il est très gentil et il a mon âge alors quand il n’y a rien à faire, je descends le rejoindre et nous discutons. Mon premier soir au télécentre aura un impact majeur dans ma vie. Nous sommes assis dans le fond du télécentre Nicolas et moi et un jeune homme de mon âge fait son entrée. Je sais pas ce qui se passe. Je le trouve tellement parfait que j’en ai mal au ventre. Je ne cesse de le regarder, je suis pratiquement hypnotisée et je me dis il faut que je fasse tout pour qu’il tombe amoureux de moi. Il me serre la main et se présente, Khadim. Nous échangeons des salutations banales et il quitte les lieux. Le soir quand je me couche, je ne pense qu’à lui.
Après 3 jours, je suis complètement à l’aise. Aissetta, lors du repas du midi m’a baptisée Coumba. Ça n’a pas été long que le quartier m’appelait Coumba et je suis devenue une star!! On m’invitait à manger partout, je jouais avec les enfants, on me faisait des tresses. Ça été comme cela durant tout le voyage. Nicolas lui allait à la boutique acheter les journaux et passait son temps à lire dans la case sur la terrasse. Les soirs, je passais ma soirée à trainer avec les garçons au télécentre. On discutait, on blaguait, on avait tous le même âge et les mêmes rêves. Il y avait Dame qui était gardien d’une maison à côté de la notre, Youssou qui était sans emploi, Malick du télécentre et Khadim le magnifique. Plus les soirs avancent, plus Khadim et moi on se rapproche. Environ 2 jours avant mon départ, Khadim m’invite à aller manger chez lui avec sa famille, ce que j’accepte immédiatement. C’est dimanche et le dimanche c’est journée de lakh dans la famille Diaw. Après avoir mangé, nous allons dans la chambre Khadim et moi ainsi que deux de ses soeurs. Les soeurs quittent chacun leur tour et la dernière ferme la porte. Il faut savoir qu’au Sénégal on ne laisse pas deux jeunes non mariés passer du temps enfermés dans une chambre. Alors le temps est compté et on croise les doigts pour pas que maman débarque! On se saute littéralement dessus. On s’embrasse à en plus finir, on se met les mains sous les vêtements… quand tout à coup j’entend un bruit de porte et j’entends Mimi crier: Coumba! Coumba! Je sors de la chambre avec Khadim sur les talons. C’est Nicolas qui est dans le couloir. Il est très en colère. Il me dit qu’il me cherche depuis des heures (oups j’ai pas vu le temps passer) et m’ordonne de rentrer immédiatement chez Aissetta et de me coucher. Me sentant très mal, je le suis.
Les deux derniers jours se passent selon la routine. Je suis partout dans le quartier, je fais des visites culturelles et je traîne au télécentre le soir. Il est maintenant temps de faire les valises. Nous quittons Soprim pour l’aéroport vers 22h. J’ai trouvé un papier et un crayon. Je me suis cachée dans les toilettes et j’ai écrit un mot à Khadim. J’ai plié le papier tout petit tout petit. Vers 21h, Khadim arrive au télécentre. Il avait promis de venir avant que je parte. Discrètement je lui passe le papier. Je chuchotte: tu le liras quand je serai partie. On arrive à l’aéroport. Je pleure ma vie. Je veux rester. Nicolas, qui ne comprend qu’à moitié, me dit de me ressaisir, que notre vie n’est pas ici et que je dois faire mon deuil. Les vols de retour se passent très bien même si j’ai le coeur en 1000 morceaux.
Arrivée à notre appartement de Montréal, je vais prendre un bain afin de me détendre un peu du voyagement. Je suis nue dans la baignoire quand Nicolas ouvre la porte et entre comme si de rien n’était. Il me regarde. Je lui dit directement: toi et moi c’est terminé, nous ne sommes plus à la même place. Estomaqué, il me dit que je suis pas mal directe. Je lui mentionne que notre couple bat de l’aile depuis un bon moment. Je renchéri en disant que nous n’avons pas fait le même voyage même si nous sommes parti ensemble. Je lui rappelle que ce voyage était aussi pour tester notre couple. Nous sommes en septembre. Nous déménagerons chacun de notre côté à la fin octobre.
Depuis le lendemain de mon retour je parle à Khadim tous les jours. Je me ruine en cartes d’appels qui des fois fonctionnent et d’autres fois non. Appeler direct sur le fixe est tellement mieux mais à 4,56$ la minute, faut vraiment pas abuser. Khadim , assisté de son cousin Modou qui est informaticien, s’ouvre une boîte courriel. Nous débutons une correspondance enflammée à crier notre détresse d’être aussi loin l’un de l’autre. Nous convenons de nous marier. Je planifie un voyage de 1 mois au Sénégal durant la période des fêtes de fin d’année. Je vais me marier le 22 décembre 2005 à Dakar.
À suivre…